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NOTE SUR UNE STRUCTURE DE CONSERVATION

SEMI ENTERREE EN MONTAGNE LIMOUSINE

(Le Paulet, Valièrgues, Corrèze)1

par Patrice CONTE

Extrait de

Ethnologia, Etudes Limousines, revue d'ethnologie et des sciences sociales

nos 57-60, 1991

Trois raisons nous amènent à présenter cette note succincte alors que l’étude de ce type de structure n’est qu’à peine ébauchée2 :

    • en premier lieu les caractères architecturaux du bâtiment du Paulet nous paraissent suffisamment originaux et inédits pour justifier ce travail préliminaire, en espérant qu’il amènera d’autres chercheurs à se pencher sur la question;
    • ensuite, les recherches portant sur les modes de conservation des denrées alimentaires, que ce soit pour l’homme ou pour les animaux, restent encore aujourd’hui trop rares dans nos régions et ce malgré le rôle important du stockage des denrées au sein de la chaîne opératoire de l’agriculture;
    • enfin, et ce n’est pas sans rapport avec le point précédent, les travaux d’ethnographie régionale, s’ils ont d’assez longue date étudié les constructions rurales, ont surtout fait porter leur effort sur les constructions "en dur", maçonnées, qu’il s’agisse de la maison( demeure) ou de bâtiments conçus suivant les mêmes principes (grange, étable, four à pain) laissant de côté l’ensemble des petites constructions réalisées en matériaux périssables et toutes les structures creusées entièrement ou partiellement.

Il convient donc de considérer les notes qui vont suivre comme une simple présentation architecturale de œ bâtiment et quelques réflexions sur sa destination.


Description (état actuel) (fig.1, 2 et3)

Le bâtiment est formé par une fosse quadrangulaire excavée d’une profondeur totale de 1,20 mètre pour une longueur d’environ 3 mètres sur une largeur de 2 mètres.

La charpente en bois de sciage consiste en trois fermes, deux en pignon et une ferme centrale de deux arbalétriers croisés en tête supportant une panne faîtière de section circulaire (petit tronc d’arbre) et reliés par deux entraits. Quatre pannes sur chaque pente portent les chevrons (fig.1).

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A - espace de stockage ; B - niveau du sol extérieur ; C - couverture actuelle (tôle ondulé) ; D - faîtière en zinc ; E - remplissage des sous pentes et des bas-côtés en paille de seigle. Des lacunes apparaissent aujourd'hui, à l'origine le calfeutrage était complet.

1 - Coupe transversale du bâtiment (au niveau de la ferme centrale)

Ce système repose sur deux séries de trois poteaux verticaux (assemblages à mi-bois et cloués) assujettis à des planches le long des plus grands côtés et au fond (côté opposé à l’entrée principale).

La couverture actuelle est constituée de tôles métalliques ondulées, la faîtière étant assurée par une bande de zinc clouée au sommet.

Le pignon opposé à l’accès est un pan de bois dans lequel une petite porte mobile a été aménagée afin de faciliter l’accès lors du remplissage du bâtiment pendant la phase d’ensilage.

Le mur de façade est équipé d’une ouverture centrale d’un mètre de large sur 1,50 mètre de haut et de marches en planches clouées se développant à l’intérieur du bâtiment. L’accès est complété par une porte mobile en bois (fig.2).

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2 - Dessin d'après photo de la structure, façade et accès, état actuel.

L’espace interne, dans sa partie enterrée, est délimité par une cloison en planches horizontales fixées contre les poteaux verticaux. Ce dispositif réduit les dimensions internes et donc l’espace utilisable de la pièce à 2,30 mètres sur 1,50 mètre. Ce coffrage n’est actuellement conservé que sur les deux tiers inférieurs de la hauteur des poteaux.

Le "vide" ainsi formé entre les parois de la fosse et l’habillage interne de planches est comblé de paille de seigle tassée. Il en est de même des espaces vides de la charpente entre les arbalétriers et la couverture, ici les gerbes de paille sont disposées en deux couches croisées (fig.1 et 3).

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3 - Détail du remplissage de paille de seigle jouant le rôle d'isolant thermique au niveau de la charpente et des bas-côtés. On notera la disposition curvée des dix couches de paille.

Eléments d’étude

L’enquête orale nous précise à la fois l’histoire et la destination du bâtiment.

Sa fonction est celle d’un silo de conservation de denrées alimentaires (plantes fourragères : choux raves, carottes fourragères, betteraves). Malgré la taille modeste de la structure, sa capacité d’entrepôt est importante: entre 8 et 9 m3. Le propriétaire actuel, qui a vu construire ce bâtiment, continue de l’utiliser temporairement et l’entretient, précise, qu’à l’époque de sa création par Monsieur Longevialle (années 1940-1942), le silo pouvait contenir jusqu’à 9 tombereaux de produits.

L’ensilage s’effectuant par la petite porte mobile située derrière la construction, l’accès de la façade étant utilisé lors du stockage pour ranger les végétaux puis comme accès permanent au stock.

A l’origine la couverture du bâtiment était assurée par un toit en mottes de gazon.

Ce mode de recouvrement, le calfeutrage de paille de seigle et la position excavée de cette construction créaient ainsi des conditions propices à la conservation, pendant toute la période hivernale, des denrées ensilées les mettant à l’abri des gelées, de la lumière, dans un milieu clos thermiquement protégé.

Le silo du Paulet représente donc une alternative originale aux modes d’ensilage en simple fosse recouverte de couches de paille tassée et de couches de terre fréquemment employée dans la région ou en cave2. Loin de représenter un "archaïsme" cette cabane semi-enterrée constitue au contraire un bon exemple d’architecture vernaculaire adaptée aux besoins agricoles d’une exploitation des hautes terres limousines productrice d’assez grandes quantités de plantes fourragères destinées, pour l’essentiel, à l’alimentation du bétail.

Le procédé de l’ensilage souterrain n’est d’ailleurs pas inconnu, même s’il reste peu étudié régionalement ; c’est un principe voisin de conservation en fosses souterraines pour le stockage des céréales qui est mis en évidence par les recherches d’archéologie médiévale3. L’ethnographie, quant-à-elle, montre qu’une production comme celle de la châtaigne, en particulier celles conservées pour la semence, peut également être remisée dans des fosses enterrées4.

Le silo du Paulet se distingue des autres structures semi-enterrées de conservation telles que l’ont peut les observer dans la moitié orientale du plateau de Millevaches qui allient la construction par "soustraction" (creusement) et des parties maçonnées.

Cette disposition morphologique — et peut-être aussi fonctionnelle — peut s’expliquer en partie par des différences chronologiques puisque ces dernières constructions sont plus anciennes que celle du Paulet (XJXème siècle et probablement début du XXème siècle).

Le choix d’une structure en matériaux légers peut également correspondre à des contraintes techniques : Monsieur Longevialle, son constructeur, était — paradoxalement — maçon de formation ; le choix d’une construction charpentée obéirait alors à deux raisons majeures d’après l’enquête orale : nécessité de mettre rapidement en service le bâtiment de stockage et la possibilité de disposer facilement de bois de charpente.

Des modèles

On notera, enfin, que le silo du Paulet est voisin des propositions émises dans les traités de constructions rurales de la fin du XIXème siècle et de la première partie du XXème siècle: L. Bouchard-Huzard, en 1870, conseille la construction de silos partiellement enterrés recouverts d’un toit de paille supporté par une charpente légère pour la conservation des légumes5. En 1914, dans l"’Encyclopédie Agricole", F. Danguy préconise également la réalisation de silos permanents destinés à emmagasiner de grandes quantités de racines, il précise: "Ces silos ... se trouvent au-dessous du niveau du sol afin de les maintenir (les végétaux) à une température constante et de les préserver contre les gelées, c’est également pour cette raison qu’on les couvre avec des matières mauvaises conductrices de chaleur, comme le chaume, ou qu ‘on dispose des paillassons sous la couverture" 6.

Ce même principe sera régulièrement proposé par la suite dans divers traités ou manuels destinés à l’enseignement agricole7.

L’enquête ne permet pas de préciser si c’est bien la connaissance de tels ouvrages qui a présidé aux choix techniques retenus pour la construction du bâtiment de stockage du Paulet. Le savoir empirique des conditions favorables à la conservation des végétaux peut justifier à lui seul le mode de construction retenu, c’est d’ailleurs l’observation de systèmes vernaculaires qui a bien souvent présidé à l’élaboration de modèles "savants" destinés à rationaliser les techniques agricoles, en particulier dans le domaine de l’ensilage des produits végétaux.

Notes

1 - Cette note est la première d’une série de plusieurs textes établis à partir des données d’une enquête réalisée en 1989 et 1990 sur le territoire de la commune de Valiergues en Corrèze.

Les enquêtes ont été menées dans le cadre de deux stages organisés et menés par l’Association ARCHEA avec le concours de la Société d’Ethnographie du Limousin (SELM) et du Centre d’Anthropologie du Massif Central (CAMAC).

Cette opération a pu être menée à bien grâce au concours financier de la MLSH, de la SELM et de l’Association "Corrèze-Culture" (Conseil Général de la Corrèze). Elle a également bénéficié du concours actif et du soutien de la Municipalité de Valiergues et des habitants de la commune et, dans le cas présent, de Madame Andrée Chirol, Messieurs Joseph et Daniel Chirol, agriculteurs au Paulet.

2 - La présence de constructions excavées est attestée dans la partie orientale du plateau de Millevaches (recherches en cours : ARCHEA).

3 - En dernier lieu: Patrice CONTE, 1990: Souterrains, silos et habitat médiéval, état de la question archéologique en Limousin et Périgord. in "Historiens et Archéologues", Actes de la 3ème session d’histoire médiévale de Carcassonne, P. LANG éd., p.243—281.

4 - A. BRUNETON-GOVERNATORI, 1984 : Le pain de bois, ethnohistoire de la châtaigne et de la châtaigneraie. Eché éd., Toulouse, 533 p.

5 - L. BOUCHARD-HUZARD, 1870 Traité des constructions rurales, éd. de 1982, Léonce Laget éd., Paris, p.335-34O.

6 - F. DANGUY, 1914: Construction rurales, cou. Encyclopédie agricole, Baillère et fils éd. Paris, 502 p.

7 - Par exemple dans : BRACONNIER et THEOBALD, 1951, Agriculture, sciences appliquées, écoles rurales, coll. Terre de France, Magnard éd., voir aussi : LAROUSSE AGRICOLE, édition de 1922, tome 1, p.59l-592 et Tome Il, p.577-579, planche XCI, Larousse éd. Paris.