Place des Jacobins
Article inédit
© Eric BALBO
1990
La cave du 18 place des Jacobins fit l’objet d’une fouille en 19841. Celle-ci était justifiée par la réhabilitation de l’immeuble, afin de vérifier certaines hypothèses quant à l’occupation â l’extérieur du périmètre d’une des absides des thermes gallo-romains conservée dans son sous-sol.
Ces thermes, édifiés vers la fin du Ier siècle2, se trouvaient contiguës au forum de l’antique Augustoritum, sur une plate-forme aménagée sur le versant oriental du ruisseau d’Anjoumar.
Après la destruction de cet édifice monumental et son nivellement, tout au moins partiel, les Dominicains acquièrent, en 1239, un terrain connexe à la Croix de Manigne, place des Jacobins actuelle. La première pierre de la chapelle sera bénie en 1241 et la construction du monastère se déroulera jusque vers 12803.
Ce faubourg Manigne bénéficia d’un développement important grâce à la grande route de Toulouse qui y aboutissait. Le long ce cet axe, et aux pieds des remparts médiévaux de l’agglomération dite du « Château » de Limoges, une population dense d’artisans y prospéra : émailleurs, selliers, éperonniers, balanciers, tailleurs d’habits, mais également hôteliers et chirurgiens4.
Les exactions des gens de guerre obligèrent ses habitants à élever au XVlème siècle des fortifications autour de leur faubourg. Celles-ci restèrent en place jusqu’en 1671 au moins, et peut-être jusque dans la première moitié du XVIIIème siècle5.
C’est à la fin du XVIIIème siècle que des travaux de terrassement redécouvrirent, certainement, l’une de ces absides. A ce sujet nous pouvons lire dans les cahiers de Beaumesnil que vers 1776: « on trouva en creusant les fondements de quelques maisons, place des Jacobins, des traces de vieux murs d’une très excellente bâtisse, quoiqu’en petites pierres équarrées toutes bien assises de niveau qu’on disait être le palais de Leocadius mais qui n’indiquaient que les fondements de quelques tours antiques romaines, toutefois dont on apercevoit les plus basses voûtes, mais qui ne peuvent avoir été que partie d’enceinte (du palais) de L. Capreolus »6.
Cet auteur décrit, à n’en point douter, les vestiges des absides de l’établissement des bains publics mis en évidence lors des fouilles entreprises de 1967 à 1978.
Une indication plus précise est donnée par l’abbé Legros: « Le 24 mai 1775, en fouillant la terre, dans la place des Jacobins de Limoges, pour y jeter les fondements d’une maison qu’on voulait bâtir sur cette place, on trouva les mazures d’une tour, creuse en dedans, et dont la maçonnerie était encore fort solide. Le propriétaire s’en servit pour faire une cave. Il est fâcheux qu’on y ait rien trouvé qui pût prouver l’époque de la construction de cette tour, ni à quoi elle avait servi autrefois. Cette mazure était faite en demi-lune... »7.
Cette "tour creuse" dépeint parfaitement la structure réemployée comme fondation dans cet immeuble.
Dans son étude sur le « barri » fortifié de Manigne, Ernest Vincent laissait entendre que cette infrastructure pouvait être liée aux fortifications du XVIème siècle de ce faubourg. D’autant que l’excellente conservation des murs pouvait faire supposer une origine plus proche de son époque que de l’Antiquité. Cependant, il ne put retrouver cette architecture. S’il avait pu le faire, il se serait vite aperçu que le mur en question était maçonné en petit appareil, typique de l’époque gallo-romaine.
La cave de cet immeuble n’est pas voûtée. Son plafond est plan, constitué par le plancher en bois du rez-de-chaussée. Le sondage effectué devait vérifier les aménagements liés à cette abside. Il. révéla un mobilier important témoignant de la transformation de ce secteur en dépotoir dès la fin du Moyen-Age et à la période moderne des habitats proches (dans le cas de la période post-médiévale, des maisons construites à cet emplacement). Ce matériel archéologique, recueilli en stratigraphie, comporte des vestiges céramiques : marmites, pichets... des restes osseux, témoins de la consommation carnée et des activités de boucherie à la fin du Moyen-Age , et quelques fragments appartenant à des pièces osseuses ouvragées, rebuts d’activités de tabletterie8.
L’étude de ce site est une contribution à l’archéologie du « Limoges médiéval » jusqu’alors peut connu par la fouille. C’est également un prolongement de réponse à l’abbé Legros qui se demandait : « L’enceinte des murs de la ville s’étendait-elle autrefois jusque-là, ou était-ce un ouvrage des Romains, ou du Moyen-Age ? autant de questions qu’on laisse à répondre aux savans (sic) dans l’histoire de cette ville »9.
Notes
[1] Responsables: Jean-Pierre LOUSTAUD, Christian VALLET.
[2] Jean-Pierre LOUSTAUD. Les thermes de la place des Jacobins, inArchéologia, n° 157, août 1981, p.30-34. Et Limoges gallo-romain, 1980, p.44-47.
[3] Jean LEVET. Histoire de Limoges, t. 1, Limoges, 1974, p.127 et 161.
[4] Ernest VINCENT. Le « Barri » fortifié de manigne, in Bulletin de la Société Archéologique et Historique du Limousin, t. LXXXII, 2ème livraison, 1947, p.333.
[5] Ernest VINCENT. op. cit., p.333-334.
[6] Cité dans Jean LEVET, op. cit., p.35.
[7] Abbé LEGROS. Continuation de l’abrégé des annales du Limousin ou de la suite chronologique des faits qui intéressent cette province, Limoges, 1778, p.193 (mss), A, I sem. 12.rchives Départementales de la Haute-Vienne.
[8] Christian VALLET. Un dépotoir du bas Moyen Age, place des Jacobins à Limoges, in Travaux d’Archéologie Limousine, t. 21, 2001, p.85-94.
[9] Abbé LEGROS, op. cit., p.193.