Souterrains de Limoges
Premiers éléments d’une recherche en cours
1993
Par Eric BALBO et Patrice CONTE
Extrait de
Archéologie du monde souterrain
Actes des premières journées-rencontre de
l’association pour le développement de l’archéologie sur Niort et ses environs
Les monuments qui forment le patrimoine historique de la ville de Limoges ont fait l'objet de nombreuses études savantes. Si leur connaissance n'est peut-être pas totale, elle nous est restituée de manière souvent détaillée grâce à de nombreuses études érudites du XIXe siècle et des travaux plus récents de notre siècle. Cependant, ils ne sont pas les seuls à présenter de l'intérêt à Limoges. En effet, il est un ensemble architectural encore largement méconnu dans cette ville : le sous-sol des noyaux urbains médiévaux de l'agglomération, qui n'a pas encore fait l'objet d'une étude systématique.
La légende, voire le mythe, est toujours fort : lorsque ce sous-sol est voûté d'ogive, la croyance populaire y voit des lieux de culte : chapelles, églises ou même restes d'abbaye ; lorsque ce sont des boyaux de quelques développements, l'on parle aisément de souterrain reliant des lieux distants de plusieurs kilomètres1, sans prendre en considération les nombreux problèmes techniques que cela aurait posé au Moyen Age... ou encore de nos jours.
Aujourd'hui, une problématique peut être esquissée tant dans ses objectifs que dans les méthodes mises en jeu : il s'agit dans un premier temps de mener l'étude sur un ensemble urbain bien délimité. Dans le cas présent, îlot retenu2 est compris entre la place des Bancs, la rue du Consulat, la rue Cruche-d'Or et la rue Elie Berthet (figure 2). Cette recherche, actuellement en cours, est une contribution à l'histoire et à l'évolution du tissu urbain de la ville depuis l'époque médiévale, et ce à la fois sur le plan de l'urbanisme, de l'architecture et de la culture matérielle de ses habitants.
Fig. 1 : situation des sites étudiés par rapport aux villes médiévales de Limoges. Trame aux traits : emprise des villes médiévales ; trame magenta : périmètre de recherches du programme d'étude ; pastilles rouges : 1, rue du Temple - 2, îlot Gabriel-Péri.
Les méthodes que l'on développera dans cette optique s'organisent autour de plusieurs pôles :
l'étude des données archivistiques et le traitement des sources imprimées ;
le repérage des cavités et la constitution d'un dossier dans chaque cas : descriptif, relevé topographique et architectural, relevé photographique... Toutes ces informations formant un corpus pour l'étude synthétique de cet espace souterrain urbain » ;
la fouille archéologique.
L'étude de cet îlot permet déjà de dégager des données sur :
37 parcelles construites ;
24 indications bibliographiques ou d'archives ;
21 plans;
- 1 fouille archéologique.
Pour l'instant, cet inventaire bénéficie des résultats acquis au cours du sondage archéologique d'une parcelle3. Celui-ci a révélé plusieurs indications intéressantes sur le mode de creusement, la construction et le comblement de cette unité souterraine. Cette intervention permet déjà, sinon de projeter les résultats d'une étude ponctuelle sur un quartier, d'évaluer l'apport et les conditions de reproduction d'une telle opération sur un quartier de la ville tant au point de vue méthodologique et technique qu'au point de vue de sa contribution archéologique. Dans ce dernier cas, elle peut-être considérée comme une opération « test ».
Fig.2 : Extrait du plan de Trésaguet (1765-1768) présentant l'îlot de recherches Consulat/Elie Berthet. La partie magenta est l'emplacement du sondage archéologique (rue Montant Manigne = rue Elie Berthet actuelle).
En outre, il faut pouvoir mener parallèlement l'étude des ouvrages souterrains menacés par les travaux d'urbanisme de ces dernières années, quand nous en sommes avertis à temps, avant destruction. Dans ce cas, il s'agit, vu le caractère d'urgence, d'effectuer un travail de « sauvetage ».
Si la (lest fonction(s) de ces monuments, et leur datation, restent encore amplement à préciser, il devient urgent dès maintenant, vu le rythme soutenu de destruction de ces ouvrages liée aux travaux d'urbanisme, d'aborder leur étude sous tous ses aspects.
Tout d'abord ces structures se rencontrent principalement, voire exclusivement, dans quatre secteurs de la ville contemporaine :
la ville médiévale du Château ;
la ville médiévale de la Cité ;
l'ancien faubourg Manigne (place des Jacobins, rue Delescluze) ;
le quartier des Arènes ;
sans oublier le réseau dense des aqueducs, tant antiques que modernes, qui parcourent l'agglomération.
De plus, ces excavations se retrouvent sous toute la superficie de ces aires. En effet, non seulement les parcelles construites se retrouvent sur du « vide », mais également toutes les voies de communication4.
Du point de vue architectural, nous rencontrons deux grands types : les structures maçonnées et celles creusées dans le substrat rocheux, et ce sur deux, trois, voire quatre niveaux5.
A l'heure actuelle, nous accédons, en général, au sous-sol par une trappe ménagée à l'intérieur de la maison. Ces caves devaient avoir, primitivement dans la plupart des cas, un accès direct depuis la rue, s'ouvrant par une porte, habituellement surbaissée, donnant sur un escalier monumental6.
Ces lieux, outre leur destination principale et initiale de conservation du vin et autres denrées, ont pu être utilisés à d'autres fins : certains aménagements (placards, niches, cuves en pierre, puits, four, etc.) nous incitent à penser qu'occasionnellement ces sous-sols ont pu servir d'abri ou de zone de vie dès le Moyen Age. En outre, il est hautement probable que ces sites ont abrité des commerces7, voire des ateliers artisanaux8, mais ceci reste à mettre en évidence en recoupant nos informations tant bibliographiques, archivistiques, ethnographiques ou archéologiques.
Quatre exemples de réseaux souterrains de la ville de Limoges
Les quatre sites décrits ci-après ont été entièrement détruits9 ou mutilés profondément10. Ces exemples montrent que l'étude des souterrains et réseaux enterrés urbains ne peut donc faire l'économie d'actions de terrain reposant sur la topographie et l'étude architecturale d'ensembles « en voie de disparition » et, dans certains cas, d'opérations de fouilles :
Rue du Temple
En octobre 1983, lors de terrassements effectués pour la construction d'immeubles, une fouille de sauvetage12 fut entreprise rue du Temple, sur les parcelles 369, 442 et 44413.
Ces travaux ont mis au jour une voie empierrée d'origine gallo-romaine et quelques lambeaux de sépultures du haut Moyen Age14, mais ont également entraîné la disparition d'un réseau important de caves.
Fig.3 : sous-sol du 9, rue du Temple.
Lors de notre intervention, le décaissement de ce secteur était bien avancé, seul le deuxième sous-sol de ce qui fut l'emplacement du 9, rue du Temple, était accessible, ainsi qu'un réseau de caves et de galeries souterraines creusées dans le substrat de migmatite et se développant sous la voie publique.
Le relevé du second sous-sol fut réalisé15 mais l'avancement de l'ouvrage ne nous a pas permis d'effectuer celui se trouvant sous la chaussée. Cependant, nos recherches bibliographiques et en archives nous ont permis de compléter nos plans et nos observations.
Photo 1 : 9, rue du Temple (Limoges). Nous voyons en coupe le premier et second sous-sol de cette cave au niveau de C (figure 3).
Notre intervention dans le sous-sol du 9 fut « facilitée » par l'excavation effectuée par un engin de terrassement qui éventra la grande galerie (Z, figure 3). Celle-ci, dans sa partie accessible, se développant au nord - nord-ouest mesurait environ 12,50 mètres (longueur restante depuis l'excavation) sur 3,40 mètres à 4 mètres. Elle était remblayée sur une bonne partie de sa hauteur, la moyenne de celle-ci était d'environ 2,20 mètres. Elle comprenait également des arcs de décharge ou des départs de galerie dans sa paroi nord-est. Sa voûte en plein-cintre était composite : constituée en partie par des pierres de petit module et des briques, mais aussi creusée directement dans le substrat rocheux. A la fin de cette galerie et sur son flanc ouest était bâti un pilier quasi carré ( Y, figure 3) de 1,60 mètre de côté, formé de blocs de granit en gros appareil très soigneusement jointoyés (photo 2).
Photo 2 : 9, rue du Temple (Limoges).Pilier Y vu de la galerie Z (figure 3).
A ce niveau, et à l'ouest, s'ouvrait une salle à deux travées (6,60 x 7,25 mètres environ) dont les voûtes en croisée d'ogives (hauteur environ 2,70 mètres) reposaient sur un pilier central (X, figure 3), trapézoïdal, dont les côtés étaient construits en gros appareil (photo 3).
Photo 3 : 9, rue du Temple (Limoges). Pilier central X de la salle à deux travées (figure 3).
Une petite salle ( W, figure 3 ), contiguë à la précédente, s'ouvrait dans celle-ci par une porte en berceau avec sur tout son tour une feuillure permettant l'encastrement d'une porte. Cette petite pièce mesurait 3,30 mètres sur 2,60 mètres pour une hauteur d'environ 2,80 mètres.
Pour aménager les fondations de l'immeuble existant à présent, la galerie fut effondrée afin de permettre la réalisation d'une chape de béton (photo 1). Deux piliers en béton armé furent également édifiés dans ces ouvrages anciens. Ce second sous-sol se trouvait à environ 10 mètres sous la surface.
A notre arrivée sur les lieux, le premier sous-sol avait été détruit. Nous pouvons cependant avoir une idée de l'espace occupé par celui-ci grâce à un relevé effectué dans la première moitié du XXe siècle16 et à la description faite par Ernest Vincent17.
Sous le porche de la maison de façade (environ 8 mètres), à l'est, s'ouvrait l'entrée des caves.
L'escalier en L, à double volée, amenait au premier sous-sol à environ 3,60 mètres sous le niveau de la rue. Cette cave était composée de quatre travées reliées entre elles par un couloir long de 15,50 mètres. La plus grande largeur formée par ces pièces mesurait environ 13,70 mètres. La hauteur sous voûte était de 2,70 mètres, six de ces salles étaient en croisée d'ogives.
Il est à noter qu'il y avait une différence de niveau de 0,50 mètre entre la portion nord - nord-ouest et sud - sud-est de cet étage.
L'accès au second niveau se trouvait dans la troisième travée : par deux marches et un palier, on accédait à un grand escalier (F) qui, partant de la rue, donnait accès à la basse-cave décrite plus haut.
Ces travaux d'urbanisme avaient également touché l'emplacement du 7, rue du Temple. Son sous-sol avait été totalement détruit avant notre intervention. Seul un relevé conservé aux archives communales permet de restituer son implantation et son développement (figure 4) : l'accès à cette cave se faisait directement depuis la voie publique par une porte donnant sur un escalier de 1,50 mètre de large. Celui-ci aboutissait dans une salle vaguement rectangulaire de 3,60 mètres sur 11 mètres dans son plus large développement. Celle-ci comportait deux piliers : un, au fond, rectangulaire de 2,35 mètres sur 1 mètre ; l'autre, trapézoïdal, sur lequel était aménagé un jambage de porte. Enfin, existait un petit caveau de 3,90 mètres sur 2,35 mètres. Le sol de cette cave était à 6,1 1 mètres par rapport au niveau de la rue. La hauteur moyenne de ces voûtes était de 2,35 mètres sauf dans la partie du fond, au niveau du pilier rectangulaire, où la voûte se trouvait à 3,45 mètres du sol.
Fig.4 : sous-sol du 7, rue du Temple.
Réseau de l’îlot Gabriel-Péri (figure 5)
La destruction et le nivellement du bâti ancien de îlot Gabriel-Péri (compris entre la rue des Charseix, l'avenue Gabriel-Péri, la rue des Petites-Maisons et Delescluze) permirent l'accès à quelques réseaux souterrains18, notamment celui se situant à l'angle des rues Delescluze, des Petites-Maisons et de l'avenue Georges-Dumas (photo 4). Ce réseau était composé de quatre unités souterraines distinctes mises en relation par ouverture artificielle de leur mur mitoyen.
Fig.5 : sous-sol du 4, rue Delescluze et du 42, avenue Georges Dumas.
L'accès, lors de notre intervention, pouvait se faire soit par le 4, rue Delescluze, soit par le 42, avenue Georges-Dumas. Nous avons pénétré dans ce réseau par une trappe se situant dans le couloir de l'immeuble (A). Celle-ci ouvrait sur une échelle de meunier reliant le plancher du rez-de-chaussée à l'escalier de pierres de la cave. Ce dernier donnait dans une cave longue de 9 mètres et large de 3 mètres environ, maçonnée en pierres. Au sud se trouvait une structure hémicylindrique occupant toute la hauteur de cette cave et faisant penser au mur extérieur d'un puits19. En B, était aménagé à ras du sol un passage, d'environ 0,50 mètre de diamètre, donnant accès à une autre unité souterraine, qui avait vaguement la forme d'un L dont le sol était en contrebas de 1,20 mètre par rapport à la précédente.
Photo 4 : îlot Gabriel Péri (Limoges). Exemple d'un escalier à vis descendant dans un second sous-sol.
La partie C était creusée dans le substrat rocheux, sa voûte était en berceau. Une niche (D) était aménagée dans le gneiss dans sa paroi nord, à 0,50 mètre de son intersection avec la cave E. Cette dernière possédait des tailloirs en granit de module important sur lesquels reposaient des voûtes en arêtes d'ogive. Nous accédions en F par un trou aménagé dans le mur délimitant ces deux unités souterraines. Cette cave était très encombrée de détritus de toutes sortes.
Le sous-sol du 4, rue Delescluze (G) était de construction composite. Il était creusé dans le substrat, celui-ci étant renforcé par endroit par des arceaux de briques ou bien entièrement maçonné par coffrage.
L'architecture la plus remarquable était, paradoxalement, une fosse d'aisance (H). Son accès, difficile, se faisait par une trappe (I). Cette salle, soigneusement appareillée, avait deux ouvertures rectangulaires ouvertes latéralement dans sa voûte. Cette fosse n'était plus en service depuis longtemps.
Premier bilan d'une fouille d'un ensemble souterrain
L'opération réalisée dans un ensemble souterrain rue Elie-Berthet représente l'un des premiers cas de fouille mené sur ce type de structure souterraine.
Cette opération n'est donc pas exemplaire et il convient d'attendre la reproduction d'actions de ce type pour évaluer leur contribution à la connaissance des monuments souterrains. Toutefois, on soulignera que cette approche permet d'aborder le problème des cavités sous l'angle de l'étude de l'évolution de l'occupation d'un quartier de la ville médiévale et moderne ; en cela, elle montre que le problème des « souterrains » n'est qu'une facette de l'étude plus globale de l'évolution historique de la ville de Limoges.
Les travaux de réaménagement du sous-sol de l'immeuble du 8, rue Elie-Berthet (ex-rue Andeix et Montant-Manigne) ont entraîné dans un premier temps une première reconnaissance architecturale et quelques collectes de mobiliers, puis dans un second temps la fouille de plusieurs secteurs souterrains.
Sans préjuger des résultats de l'analyse de toutes les données, archéologiques, architecturales et archivistiques, mises enjeu dans cette opération actuellement en cours d'étude20, il est possible de présenter ici les premières données acquises lors de cette opération.
Le premier sous-sol est formé par deux vastes caves maçonnées et voûtées élaborées probablement au XVIIIe siècle et se développant sous les limites d'un bâtiment de surface dont elles constituent des annexes.
Fig.6 : plan simplifié des structures souterraines du 8, rue Elie Berthet (Limoges). [1] Deuxième sous-sol (structures antérieures au XVIIIème siècle. [2] Structures excavées d'origine médiévale. [3] Structure E2, d'origine médiévale ou du début de l'époque moderne. [4] Limite de la zone non fouillée (au nord-ouest de cette limite). [5]
Fig.7 : coupe transversale schématique du réseau du 8, rue Elie Berthet (Limoges). En tramé : substrat rocheux.
Photo 5 : exemple d'un oculus en voûte. celui-ci est condamné actuellement par une dalle de pierre.
Photo 6 : 8, rue Elie Berthet (Limoges) : deuxième sous-sol se développant sous la voirie (C) révélé par l'effondrement de la voûte interférant avec le premier sous-sol A. Structure excavée 232 : conduit antérieur (médiéval?) recoupé lors de la construction de C (le cliché concerne le secteur sous l'escalier A1).
Photo 7 : 8, rue Elie Berthet (Limoges) : stratigraphie des comblements de l'extrémité sud du premier sous-sol (A). Les couches témoignent des comblements des XVIe-XVIIe au XIXe siècle. Au centre, la couche noire correspond à un rejet de foyer (XVIIe siècle?) recoupé par les couches de fondation de l'escalier A1 (sur la droite).
A ces deux ensembles constitués en réseau de cavités souterraines, il convient d'ajouter plusieurs autres structures excavées (photo 7) : trois fosses ont été repérées et fouillées dans les secteurs A et B : fosses F, G, H. Chaque structure est partiellement fossilisée ou tronquée par des aménagements plus tardifs. Les comblements les plus profonds, non perturbés, ont livré un matériel archéologique composé de céramiques et de monnaies qui permettent d'assurer une origine médiévale à ces excavations (fin du XIIIe-XVe siècle). Une datation comparable peut également être avancée pour la dernière structure découverte et partiellement fouillée formée par une vaste salle souterraine ( E1) équipée d'un escalier taillé dans le substrat et d'un renfoncement pariétal. Cet ensemble, probablement souterrain à l'origine, a été abandonné à la fin du Moyen Age, ou au début
de l'époque moderne, après l'effondrement de la voûte de la salle. C'est au cours de cette phase qu'une fosse ( E2) a été aménagée en surcreusant la partie supérieure de l'escalier E1 (photo 8).
Photo 8 : 8, rue Elie Berthet (Limoges) : structures excavées d'origine médiévale. A gauche : fosse F, à droite : structure E1 et fosse E2. Au fond : stratigraphie post-médiévale.
Les mobiliers archéologiques recueillis dans les divers comblements des structures témoignent aussi de ces phases de construction, d'utilisation et d'abandon. Si l'on exclut le matériel d'origine antique découvert sporadiquement dans la plupart des couches de comblements, l'essentiel des artefacts recueillis traduit une utilisation à dominante domestique des structures médiévales et post-médiévales : déchets de foyers, fragments de céramique (vaisselle) et d'ossements, constituent une bonne part du mobilier (photo 9).
Photo 9 : 8, rue Elie Berthet (Limoges) : exemples de céramiques de la fin du Moyen Age (XIVe-XVe siècle?) découvertes lors des fouilles. A gauche en haut : rebord. A gauche en bas : fragment de panse à décor de masque anthropomorphe et écailles. A droite : double anse torsadée. Ces trois pièces appartiennent au même vase (glaçure verte sur la face externe).
Une utilisation à des fins artisanales n'est toutefois pas exclue : fragments de creusets, de scories, d'objets en alliage cuivreux (épingles, boucles), mais aussi de rebut de l'industrie de l'os, pourraient témoigner, sinon de l'utilisation directe de certaines structures post-médiévales à des fins artisanales, en tout cas de la proximité d'activités de ce type.
L'impossibilité de mener une fouille précise en profondeur, du fait de l'ennoiement des parties inférieures des structures les plus basses, et d'étendre la fouille sur toute la surface de la cave A, nous prive certainement de nouvelle structures antérieures au XVIIIe siècle et d'indices sur la fonction originelle des structures les plus profondes et les plus anciennes.
Il n'en reste pas moins que cette opération a permis de restituer les grandes phases d'utilisation du sous-sol de deux maisons de la ville du Château-de-Limoges en confirmant l'utilisation permanente de ce sous-sol excavé depuis le Moyen Age jusqu'au XXe siècle et l'évolution des architectures enterrées.
En livrant un mobilier quantitativement important, la fouille permettra également de tenter une caractérisation des activités et de la vie quotidienne des habitants du quartier au cours de cette période.
Si cette opération reste encore trop unique21 et ne peut donc avoir valeur d'exemple, elle témoigne de l'intérêt à mener l'étude, par la fouille archéologique, que ce soit dans le cadre strict de l'analyse des souterrains urbains ou dans le cadre plus large d'une archéologie de la ville du Moyen Age à la période contemporaine.
Comme nous pouvons le constater, Limoges possède une architecture souterraine riche par son étendue et sa diversité. Cependant, il faut reconnaître que cette ville ne fait que suivre les exigences de la période médiévale en recherchant un surplus d'espace dans le périmètre de ses murailles. En effet, nous pouvons affirmer que la majorité des noyaux urbains22 de cette époque possède un vaste sous-sol qui ne diffère que par les contraintes du géologique, voire par quelques différences de motivation d'une province à l'autre, encore à déterminer précisément.
Il apparaît ainsi que la création de vastes réseaux souterrains répond, prioritairement, à une recherche d'espace, à une extension du domaine urbain à des fins essentiellement économiques (commerces, stockage...) dès le Moyen Age et, finalement, jusqu'à une date récente.
Une telle explication, qui reste d'ailleurs à illustrer précisément, ne doit pas masquer une pluralité fonctionnelle des souterrains, voire leur utilisation sporadique à des fins de refuge.
Force cependant est de constater que pour l'heure les éléments permettant d'attester de telles utilisations sont inexistants.
Il nous paraît intéressant, plutôt que de rechercher d'hypothétiques traces de ces modes d'occupation, de mener un programme de recherche spécifique afin d'étudier ce phénomène architectural : sa relation avec les structures de surface, ses fonctionnalités et, enfin, sa place physique et sociale dans l'urbanisme de la ville.
Objectifs qu'il convient désormais de mettre en place au plus vite face aux destructions plus nombreuses et définitives qui, peu à peu, font disparaître l'histoire de la cité.
Eric BALBO et Patrice CONTE
ARCHEA 1990
NOTES
1 Telle la légende voulant qu'un souterrain relierait la cathédrale de Limoges au château de Chalusset, distant d'une douzaine de kilomètres.
2 Nous remercions le cabinet de M. A Veyrier, géomètre expert, et plus particulièrement M. Christian Terracol qui nous a fourni certains éléments d’étude.
3 8, rue Elie-Berthet. Parcelle n° 209, section DY. voir infra.
4 Ce sous-sol s'est rappelé à notre bon souvenir, si l'on peut dire, lors de l'incident survenu le 19 mai 1990, rue Jean-Jaurès (au débouché de la rue du Consulat ), lorsque la voûte de la cave d'une maison disparue s effondra en partie, laissant place à un puits de un mètre de diamètre et de six mètres environ de profondeur.
5 Nous préférons ici parler de « niveaux » et non d'« étages » car ces structures sont souvent décalées les unes par rapport aux autres, formant des entresols. Cependant, nous avons constaté la plupart du temps deux niveaux superposés au moins.
6 Ces accès furent fermés au XVIIIe siècle par arrêt de l'intendant. Voir, par exemple, le cas du 8, rue Elie-Berthet, infra.
7 Un texte du Livre noir d'Amiens impose aux « hostelains, taverniers-, cabaretiers et autres vendons vin à détail... souffrir en leurs caves les personnes achetans vins qui y veuillent entrer, pour le voir tirer et mesurer ». Cité dans Elie Lambert, 1956, Etudes médiévales, tome I, p. 55.
8 Il y a quelques années fonctionnait encore un atelier de métallurgie dans les basses caves de l'immeuble du 2, rue Haute-Cité. Celles-ci, pour l'anecdote, auraient été murées afin que les ouvriers ne puissent pénétrer dans l’enceinte du couvent des Allois, mitoyen. Information communiquée par P.-H. Bariller, association « Circulation Res-Reï», Limoges.
9 7, rue du Temple et une partie du 9.
10 9, rue du Temple ; 4, rue Delescluze et 42, boulevard Georges-Dumas.
11 Les références qui suivent sont extraites du cadastre de 1981.
12 Responsable : Jean-Pierre Loustaud.
13 Bulletin de la société archéologique et historique du Limousin, tome CXII, 1985, p. v. 145-146.
14 Jean-Pierre Loustaud, Travaux d'archéologie limousine, vol. 5, 1985, p. 133.
15 Relevé, en partie, par M. Pimpaud, géomètre expert, en septembre 1983.
16 Archives communales, série H (cartons non numérotés ).
17 Ernest Vincent, Bulletin de la société archéologique et historique du Limousin, tome LXXXII-1, 1947, p. 83-85.
18 Jean-Pierre Loustaud, Roland Lombard, « Un dépotoir du XVIe siècle à Limoges », Travaux d'archéologie limousine, n° 7, 1986.
19 Il fut effectivement retrouvé et exploré par un sondage archéologique (responsables : Jean-Pierre Loustaud, Christian Vallet ; collaboration: Eric Balbo) en février1985, mais ne révéla, dans sa partie fouillée, qu'un comblement moderne.
20 L’analyse des documents issus de la fouille est actuellement en cours (E. Balbo et P. Conte, article à paraître en 1993 [non paru à ce jour] ). Plusieurs notes font état des diverses campagnes de fouille: E. Balbo, Bulletin de la société archéologique et historique du Limousin, tome CXI, 1984, p. 211; E. Balbo, Travaux d'archéologie limousine, vol. 4, 1984, p. 144-145 ; E. Balbo et P. Conte, Travaux d'archéologie limousine, vol. 10, 1990, p. 131.
21 Un sondage a récemment été réalisé dans une cave de la « cité de Limoges » où deux silos médiévaux ont été mis au jour dans le sol d'une salle voûtée (Thierry Soulard, Travaux d'archéologie limousine, vol. 10, 1990, p. 113-121). Cette dernière opération et la fouille de la rue Elie-Berthet constituent les seuls cas d’exploitation documentaire par la fouille des systèmes souterrains de la ville de Limoges.
Voir aussi : Geneviève Cantié, 1991, Limoges - Archéologie médiévale, catalogue de l’exposition : «Augustoritum, aux origines de Limoges», éd. Musée de Limoges, p. 51-52.
22 En Haute-Vienne, par exemple : Saint-Léonard-de-Noblat est pourvu d'un important réseau de caves très bien appareillées. Paul-Edouard Robinne, Colette Chabrely, Martine Tandeau de Marsac, Saint-Léonard-de-Noblat, un culte, une ville, un canton, cahier de l'inventaire n° 13, 1988.
Bibliographie
BARRIÈRE (Bernadette) [et alii, sous la direction de Louis Pérouas]. - Histoire de Limoges, 1989.
BARRIÈRE (Bernadette). - Atlas historique des Villes de France, Limoges, Paris, 1984.
DUCOURTIEUX (Paul). - Limoges d'après ses anciens plans, Marseille, 1982.
LEVET (Jean). - Histoire de Limoges, tome 1, Limoges, 1974.
VÉRYNAUD (Georges). - Histoire de Limoges, Limoges, CRDP, 1985.