Fouille d'un réseau souterrain médiéval à Limoges,
rue Haute-Cité et rue des Allois.
Par Patrice CONTE
Extrait du
Bulletin de la Société Archéologique et Historique du Limousin,
tome CXXIV, 1996, p. 254-257.
Procès-verbal de la séance du 28 novembre 1995
Bien qu'engagée à la suite d'un début de fouille clandestine, l'opération menée sur le réseau souterrain dit « de la place Haute-Cité» s'inscrit dans une perspective d'archéologie urbaine développée depuis plusieurs années par une équipe de l'association ARCHEA. L'opération a porté sur la fouille d'une salle souterraine et l'étude de l'ensemble du réseau.
Dans ce cadre, un plan précis - qui jusqu'ici n'existait pas, malgré la notoriété de cet ensemble souterrain - a été levé et une étude de bâti a été réalisée, mettant en évidence plusieurs ensembles structuraux et architecturaux. Si le plan atteste d'une actuelle mise en connexion entre les différentes parties creusées, il ne semble pas que ce fut toujours le cas. L'étude permet d'individualiser plusieurs systèmes conçus initialement comme indépendants, puis reliés à d'autres lors d'extensions du domaine souterrain. L'analyse spatiale des deux niveaux souterrains témoigne également de la concordance entre le bâti ancien en surface et les premiers niveaux de la cave. L'étage inférieur étant élaboré à partir du premier niveau et de plusieurs cheminées cylindriques d'extraction, ces dernières ont pu, par la suite, garder un rôle d'accès temporaire ou simplement de ventilation. Une étude de détail de l'architecture est actuellement poursuivie. Elle devra permettre, à terme, de mieux inscrire cet important ensemble souterrain dans la trame du bâti ancien de la Cité.
Menacée par les débuts d'une exploration clandestine, l'une des salles du réseau a fait l'objet d'une fouille préventive. Cette salle d'environ 6 m sur 5 m de côté, de plan quadrangulaire, est équipée d'une voûte d'arêtes retombant sur un pilier central de facture composite comprenant des éléments en remploi (éléments du socle, chapiteau ?). Elle possède la particularité d'être la seule structure excavée se développant depuis la surface jusqu'au deuxième niveau souterrain, ce qui explique une hauteur sous voûte importante (maximum: 6 m) (fig. 17).
Fig.17. – Coupe et élévation de la salle dite « du pilier » du réseau souterrain, place Haute-Cité à Limoges. Le dé du pilier repose sur un massif de maçonnerie établi dans une fosse plus ancienne (non représentée) et appuyé sur un vestige de mur en petiot appareil. Sur la gauche de la figure, « cul de basse-fosse » des latrines médiévales ; à droite, passage vers le deuxième niveau souterrain (J.-Cl. Grany del.)
Avant sa condamnation définitive, que l'on situe avant le XIXe S., la salle était équipée de deux accès: l'un donnant en surface sur la rue des Allois (place Haute-Cité) par le truchement d'un escalier droit qui fut d'ailleurs partiellement démantelé lors de la phase d'abandon, l'autre donnant accès aux éléments du deuxième étage souterrain. Ce dernier passage pourrait avoir été muré dès la fin du XVIe s.
La fouille a permis le dégagement complet des structures maçonnées, témoignant de nombreuses réfections et modifications architecturales malheureusement indatables en l'état. Elle a également permis l'étude de plusieurs structures creusées qui ont précédé l'aménagement de la salle dans la configuration qui est la sienne aujourd'hui. Parmi celles-ci, on notera la présence de deux fosses partiellement fossilisées par l'un des murs porteurs et une excavation de taille plus importante qui pourrait être une fosse ou une salle souterraine profonde, détruite et comblée au moment de l'édification du pilier et de l'escalier. L'existence de ces deux derniers éléments n'a permis qu'une reconnaissance ponctuelle de l'excavation, dont les limites et la profondeur originelles nous restent inconnues. On notera toutefois que les éléments les plus anciens s'inscrivent en place dans cette structure (couches de vidange d'un foyer datés par le C14 et la céramique entre le milieu du Xe s. et le milieu du XIe s.), l'aménagement de la salle pouvant, quant à lui, se situer dès avant le XVe s., voire le XIVe s., comme le laisse penser le mobilier archéologique exhumé d'un cloaque en fosse en relation avec un ou deux conduits de latrines situés hors de la zone de fouille.
Fig. 18. - Souterrain de la place Haute-Cité à Limoges : ensemble des tirelires médiévales découvertes dans la fosse des latrines.
Le mobilier recueilli dans cet espace est relativement abondant et varié, il comprend, pour la céramique, plusieurs pièces de céramique « très décorée" (pichets), une série d'une douzaine de tirelires (fig. 18), des éléments de marmites en pâte grise, une tasse ainsi que plusieurs éléments métalliques et en pierre dont des fragments de meules, une boule de granite et deux modillons de calcaire à visages humains.
Le remblai de la salle, qui comporte quelques fragments résiduels d'origine antique et médiévale, semble mis en place à la fin du XVIe s. ou au début du XVIIe S. On y a mis au jour plusieurs éléments de verrerie (verres à boire, verre à vitre) des albarelles à glaçure verte, mais surtout une série inédite à Limoges, à notre connaissance., de fragments de majoliques pharmaceutiques à décor polychrome.
Si, dans l'état actuel des recherches, la question de la fonction de cette salle reste entière, il convient de souligner quelques constats quant à sa situation par rapport à l'environnement monumental de surface.
Bien que située en limite de l'emprise du couvent des Grandes Claires installé au début du XVIIe s. dans les parages de l'ancienne église paroissiale Saint-Genès, il est clair que la salle au pilier n'est en relation directe avec aucun des bâtiments conventuels. Par ailleurs, les éléments de datation dégagés de l'étude archéologique confirment une origine médiévale antérieure à l'établissement du couvent. On peut émettre l'hypothèse d'une cave en relation avec un bâtiment de surface qui bordait les anciens « bancs charniers » établis au Moyen âge place Haute-Cité, à immédiate proximité de l'ancienne église Saint-Genès.
L'analyse des données de fouille se poursuit, ainsi que l'étude de l'ensemble urbain dans lequel s'inscrit ce réseau souterrain monumental. Une série de plusieurs sondages dans le réseau est actuellement envisagée afin de compléter les données sur le terrain (recherches effectuées avec le concours et le soutien financier de la Ville de Limoges et de la Direction régionale des Affaires culturelles, service régional de l'Archéologie).